BILAN 2022 : la tectonique du chaos

A la suite de 2021, année de rebond après le long tunnel du Covid, 2022 a débuté par une hausse des prix des matières et du fret, pour sombrer dans le chaos le 24 février avec le début de « l’opération spéciale » en Ukraine. Annoncée par Poutine dans un salmigondis victimaire à prétention historico-culturelle, cachant difficilement une ambition impériale et coloniale, sous forme d’un récit auto-bricolé à base de pan-slavisme et soviétisme, cette invasion du pays devait déclencher une tectonique mortifère en Europe et dans le monde, mettant fin à la reprise amorcée en 2021.

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La France avait en effet connu en 2021 une croissance exceptionnelle de 7% (contre 5,2% dans l’UE) portant son PIB à 2500 Mds € et permettant une reprise historique du travail avec un chômage réduit à 7,4% norme BIT soit 2,2M. Cette performance a certes été facilitée par des aides massives aux entreprises, mais elle reflétait, en l’amplifiant, une tendance générale en Europe de retour à meilleure fortune.

En 2022 la guerre en Ukraine a cassé cette dynamique ne permettant plus qu’une croissance réduite à près de 3% Mds€ (contre 3,2% dans l’UE) sans affecter le chômage maintenu à 7% soit 2M de sans emploi. En revanche, la balance commerciale a continué de se dégrader à près de 120 Mds, malgré une légère amélioration au dernier trimestre. Enfin la hausse des prix entamée dès 2021 pour cause de reprise dans un contexte logistique mis à mal par le Covid, a été fortement accélérée par la guerre avec 6,2% contre plus de 11% dans l’UE. Ce différentiel positif pour la France est dû en partie aux aides aux particuliers, notamment sur les énergies.

L’année 2022 a aussi été marquée par les élections en avril et juin, reconduisant le Président sans lui donner la majorité absolue aux législatives avec un bond du RN obtenant 89 sièges, devant LFI avec 72 sièges et LR avec 61 sièges, face aux 245 représentants de Ensemble! (regroupant 170 pour Renaissance ex LRM , 46 pour le Modem, 26 pour Horizons ainsi que 3 radicaux). Le débat électoral, limité par la guerre en Ukraine, avait été dominé par le pouvoir d’achat, porté principalement par les extrêmes, LFI et RN. Cette perte de majorité absolue n’a pas empêché l’adoption d’un nombre appréciables de lois (chômage, facilitation des énergies non fossiles, budget 2023 et financement de la sécurité sociale, ces deux dernières au prix d’un usage à répétition du 49.3).

Le défi immédiat à venir reste la réforme des retraites qui bute sur le report de l’âge de départ (ex âge pivot de Edouard PHILIPPE) à 65 ou 64 ans. Il est difficile de comprendre une telle obstination alors que, comme nous l’avons écrit dans un article précédent, les années de cotisation (43 ans à venir) devraient constituer le seul paramètre. Subsistent néanmoins un certain nombre de thématiques à aborder et à résoudre telles que la pénibilité, la qualité de travail par rapport à certaines méthodes de management, l’emploi des séniors, les pensions minimales, les carrières incomplètes, les régimes spéciaux. Enfin on peut estimer que la communication sur la réforme a été hésitante et maladroite, laissant croire à d’autre finalités possibles que la seule recherche de l’équilibre du régime. Quelle que soit l’ampleur de la réforme, il n’en reste pas moins que notre système est particulièrement généreux pour les retraités puisqu’il représente 14% du PIB contre 12% dans l’UE, sans compter que le revenu moyen des retraités est légèrement supérieur à celui des salariés.

Outre les retraites qui représentent un enjeu de près de 350 Mds, le pays doit faire face à divers défis sur la santé et l’éducation, dont les salariés sont notoirement sous-payés par rapport à leurs homologues européen, et sur la justice dont les effectifs sont insuffisants par rapport au stock d’affaires en suspens et par rapport aux autres pays de l’Union. A cela s’ajoute l’adaptation au changement climatique (soit 500 Mds pour la seule rénovation des bâtiments publics), la mise à niveau des centrales anciennes pour 50 Mds et la construction de 6 ou 8 réacteurs à plus de 6 Mds l’unité, la remise à niveau des infrastructures de transport et de mobilité (évaluée entre 50 et 85 Mds entre 2023 et 2027), l’ajustement de l’investissement militaire face à la situation géopolitique, soit 413 Mds sur la période 2024 à 2030. Le tout face à un mur de dettes actuel de près de 3.000 Mds.

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L’Europe a connu un renforcement certain et surprenant de sa solidarité depuis la concertation sur les vaccins, en passant par le plan d’aide de 750 Mds, l’adoption de l’impôt minimal de 15% étendu à l’OCDE, la pression sur la Pologne et la Hongrie pour leur faire respecter les règles de droit communes. Ainsi paradoxalement et notamment par rapport aux spéculations de la Russie de Poutine, le consensus sur les réponses à la guerre, tant sur le plan des sanctions, des décisions sur le pétrole et le gaz, et sur le soutien militaire, a constitué une heureuse surprise pour une Union de 27 pays (avec une population de 447 M et un PIB de 17.000 Mds€), marquant sa cohésion face à l’allié américain (pop 333 M pib 22.000 Mds$), dont l’ascendant est favorisé par la guerre, tant au sein le de l’OCDE et plus encore de l’OTAN. Cette cohésion sera prochainement renforcée par l’entrée dans l’OTAN de la Suède et de la Finlande, deux pays de l’Union, malgré la résistance de la Turquie dont le rôle ambigu dans le conflit ne cesse d’irriter l’UE.

Dans cet ensemble la Pologne, la République Tchèque et les trois pays baltes jouent une partition particulièrement volontariste, forts de leur expérience historique de la mainmise russe, notamment pendant la parenthèse soviétique de 1945 à 1990, mais pas seulement. Il est intéressant de constater que les républiques asiatiques membres de la CEI marquent leur indépendance par un rôle de simple figuration quand ce n’est pas un certain rapprochement avec la Chine.

Notre voisin allemand subit une remise en cause dramatique de son modèle économique reposant sur une énergie bon marché basée sur le gaz russe et sur des exportations en Chine en recul. Cette stratégie, défendue maladroitement pendant des années par la chancelière Merkel et ayant permis le développement de la chimie (jusqu’à pousser BAYER à absorber MONSANTO !) et de l’industrie automobile, a été d’autant plus fragilisée par l’abandon du nucléaire. Face au contexte le pays a mis sur la table 200 Mds pour soutenir son industrie sans avertir ses partenaires. De même l’Allemagne a décidé d’investir dans ses armées 100 Mds pour essayer de porter le budget militaire de 1,4 à 2% du PIB et mettre en état de marche des équipements partiellement inutilisables et des effectifs peu adaptés aux enjeux actuels. Des différences d’appréciation et de capacité d’action au sein du « couple » franco-allemand ont ainsi pu apparaître, mais devront forcément être réduites si l’on veut que ce « moteur » qui représente plus d’un tiers du PIB européen puisse amener l’Union à un niveau de puissance, de souveraineté et d’indépendance au niveau mondial.

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Les USA ont surmonté la crise du Covid avec une croissance de plus de 3% et un chômage réduit à moins de 3,5%, mais au prix d’une inflation de plus de 8%. Les élections de mid-term ont permis de renforcer la majorité présidentielle du Sénat avec 2 sièges alors qu’à la Chambre les républicains n’ont que 4 sièges d’avance, au grand dam des espérances et prétentions de Trump. Biden s’est donné les moyens d’une politique écologiste mais aussi protectionniste (Inflation Reduction Act) avec un plan de 1200 Mds$ venant après un total de 1900 Mds$ de plans de relance antérieurs. Dans le contexte de guerre en Europe et dans la perspective de la rivalité économique et stratégique avec la Chine, le budget de la défense a été porté à 850 Mds permettant une aide massive à l’Ukraine. La dette souveraine du pays de 110% du PIB reste une préoccupation d’autant plus qu’elle est couplée avec une dette privée colossale de même niveau.

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La Russie (pop 144 M et pib 1700 Mds$, soit à peine plus que l’Espagne) paie son aventure en Ukraine au prix fort avec un recul de son PIB de 12%, la destruction d’une partie importante de son potentiel militaire, déjà limité par un budget de 70 Mds$ (à comparer avec les quelques 250 Mds€ de l’UE sur la base minimale de 1,5% de PIB, devant être rapidement porté à 2% soit 340 Mds€, auquel il faut ajouter les dépenses du Royaume Uni soit 50 Mds – pour rappel cet effort s’élevait à 3% durant la guerre froide). A l’issue du conflit le pays devra faire face à ses démons et à sa gouvernance, mais plus matériellement à ses responsabilités sur les réparations estimées en septembre 2022 à plus de 750 Mds$, aux sanctions supplémentaires à venir, et enfin aux sanctions pénales pour crimes de guerre. Enfin le pays devra faire le deuil de ses capacités d’exportations d’énergies en Europe, partiellement compensées par l’Inde et la Chine. Ce régime kleptocratique, pratiquant empoisonnements et assassinats de ses opposants, sans compter l’épidémie récente de suicides parmi ses « oligarques », est souvent qualifié de pouvoir mafieux. Sauf à se remettre fondamentalement en cause, on voit mal comment ce pays et nos démocraties occidentales et « décadentes », pourraient après la guerre renouer des relations économiques et diplomatiques normalisées.

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La Chine a connu une année difficile engluée dans une obstination idéologique à maintenir une politique de Covid Zéro qui a fait reculer sa croissance de 6% à 3% mettant aussi en question le régime qui a dû abandonner sa doxa, du jour au lendemain, en décembre. Le pays fait face aussi à un problème démographique avec un premier recul de sa population bientôt devancée par celle de l’Inde, mais surtout par le vieillissement de celle-ci, avec un coût des retraites, une absence de système de sécurité sociale et un coût de l’éducation, difficilement supportables par la population sans croissance solide. La faillite du secteur immobilier, bénéficiant de la collecte de l’épargne, met à mal aussi bien les classes moyennes que les équilibres macro-économiques. Sur le plan international les routes de la soie connaissent un succès mitigé et les prêts accordés aux pays en développement de la « chaîne de perles » pourraient se révéler toxiques. Enfin Taïwan (l’Ukraine de la Chine) reste un mistigri éternel pour le nationalisme chinois, mais constitue également un énorme risque régional par rapport à l’enjeu.

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Alors que peut-on dire ou espérer pour 2023 ? On peut d’abord constater que les démocraties résistent bien face aux difficultés, alors que 70% de la population mondiale vit sous des régimes autoritaires, sinon dictatoriaux : les occidentaux certes vieillissent mais ne sombrent pas selon les pronostics de Xi et Poutine. La guerre en Ukraine devrait favoriser une accélération de l’abandon des énergies fossiles et elle rebat les cartes stratégiques, tactiques et militaires. Le monde change et il est difficile d’en prévoir les nouveaux contours. L’Ukraine démontre les avantages de l’imagination, de la souplesse et de l’adaptation aux événements, aussi dramatiques soient-ils. Espérons être aussi efficaces sur le climat, sur un développement respectant la planète et sur la réduction des inégalités entre nations comme au sein de celles-ci. En paraphrasant Obama, il est possible d’affirmer : yes we can ! … à condition de le vouloir.

Janvier 2023