Pandémie, entre raison et sentiments

Sans vouloir parodier Jane AUSTEN, nous sommes tous stupéfaits par un évènement mondial qui bouleverse nos vies et nos économies. A ce jour de mi-avril 2020, le COVID19 a provoqué le confinement de plus de la moitié d’une population mondiale de 7 Mds, a touché plus de 2 Mds de personnes et a provoqué plus de 130.000 décès, dont plus de 15.000 en France. Après les premiers cas constatés en Chine à Wuhan le 17 novembre 2019, la pandémie a surpris tous les pays par sa capacité et vitesse de propagation, son taux de mortalité, et surtout les nombreuses inconnues de ses caractéristiques biologiques qui ont laissé les spécialistes relativement désarmés.

L’origine de l’épidémie serait due à une consommation exotique d’animaux non domestiques (pangola ?), ce qui témoigne de l’obstination archaïque de la population chinoise, même éduquée, à rechercher dans la nature des ingrédients de médecine traditionnelle (quand il ne s’agit pas de substituts à usages sexuels), aux dépens des requins, tigres, rhinocéros et autres animaux en danger d’extinction. Il est à noter par ailleurs que les premiers foyers importants après la Chine ont été causés par des réunions d’évangélistes en Corée et à Mulhouse, ce qui présage d’une possible hécatombe aux USA et au Brésil où ces « églises » sont puissantes. Ce qui confirme que ni l’idéologie ni la religion peuvent n’arrivent à privilégier la raison. Enfin la Russie, l’Iran, le Moyen Orient, mais surtout l’Inde et L’Afrique restent des zones peu transparentes et/ou mal inventoriées, vulnérables et sont des foyers possibles d’une propagation catastrophique compte tenu de la faiblesse de leurs structures médicales.

Le coût social et économique de cette pandémie sera phénoménal, supérieur à celui de la grippe espagnole de 1918 dont l’impact a été noyé dans celui de la Première Guerre, et plus comparable selon les spécialistes à celui de 1929, qui avait débuté par une crise financière. Si la règle des 3 points de PIB par mois de confinement a un sens, c’est donc plus de 9 points de perte de PIB que l’on devrait constater, compte tenu de la période de précaution avant le confinement, d’un confinement de  2 mois ou plus, et d’une sortie de confinement dont les modalités restent une inconnue pour le moment et pour tous.

Sans être d’origine financière, la crise survient après une décennie de convalescence post 2008 et lors d’un boom des indices boursiers après une croissance ininterrompue du DJ à NY depuis le 1er avril 2009, année du début des deux mandats de OBAMA (et non depuis 2017, n’en déplaise à son « brillant » successeur), passant de 7.063 points à un sommet de 28.256 points le 31 janvier 2020. On attendait un éclatement de la bulle, le coronavirus l’a fait.

Des voix se sont rapidement élevées pour mettre en cause un confinement qui osait gâcher la fête, notamment dans les pays les plus libéraux, USA et Royaume Uni, avant de revenir à plus de raison, mais l’expérience continue en Suède et aux Pays Bas, jusqu’à preuve du contraire. En effet bien que l’on soit très loin d’une « grippette », les chiffres des victimes sont comparables, en France par exemple, au bilan de la canicule de 2003 (15.000 morts) ou  à certaines années de grippe classique. Certains économistes ont ainsi fait le calcul du coût humain de la pandémie, sur la base d’une valorisation mathématique de la vie (méthode VVS ou valeur d’une vie statistique) estimée à 5 M€ en Europe et 10 M$ aux USA (mais combien en Afrique, Inde, Amérique du Sud ?). Sur de telles bases, pour une valeur « talon » de 1 M$ (sans tenir compte de « l’escompte » d’une espérance de vie résiduelle selon l’âge), les 130.000 décès représenteraient « seulement » une perte de 130 Mds. A comparer avec une perte de PIB mondial (qui s’élève à 86.000 Mds $) de 4.300 Mds sur la base d’un recul de 5% seulement.

Mais ces calculs, outre le fait d’être éthiquement totalement inacceptables, ne peuvent justifier une dialectique entre RAISON et SENTIMENTS, le sentiment de populations anéanties par la perte de leurs proches, angoissées par leur propre sort, inquiets sur leur avenir social et économique. Le sentiment, forcément immédiat sinon à court terme, est aussi celui des hommes politiques dont la carrière dépendra forcément du « sentiment » de leurs électeurs. En somme l’adage selon lequel « the show must go on » semble indécent et ne peut passer tel quel.

Alors quel constat ou quelles conclusions peut-on tirer de cet événement exceptionnel ? D’abord qu’il risque d’être de moins en moins exceptionnel. Qu’il met  à mal nos sociétés et leurs organisations, notre système sanitaire et la valorisation de nos fonctions essentielles : si l’on ne peut remplacer nos médecins, nos infirmier(e)s et hospitaliers, nos forces de l’ordre, nos vendeuses et nos éboueurs par des robots, c’est que la valeur de leur travail vaut plus que ce qu’on lui accorde.

L’autre constat est celui du principe de précaution ou plus généralement de gestion du risque. Toute société devrait en permanence valoriser tous ses risques et les mettre au passif de son bilan, en en amortissant l’éventualité statistique en diminution de ses résultats. Combien le font ? La ville de Paris met tous les ans à jour son plan prévention des crues depuis celle de 1910. Le calcul VVS  pour la France (voir plus haut, sur la base européenne de 5 M€) s’élève à 75 Mds,  ce qui représente 27% de 280 Mds du coût de la santé en France et 31% d’une perte de 10% du PIB de 2400 Mds du pays. Enorme ? A comparer avec le programme d’aide de 2200 Mds aux USA, 750 Mds pour la BCE, 540 Mds pour l’UE, sans compter les plans nationaux des pays d’Europe.

La pandémie affole car elle semble exceptionnelle. Mais il convient de rappeler qu’en France 2200 personnes meurent chaque année des accidents de la route ( 8000 en 1980), et c’est sur la base de calculs VVS que la vitesse sur les routes secondaires a été réduite de 90 à 80 kmh. De même 45.000 personnes meurent chaque année de la pollution, 50.000 d’alcoolisme et 75.000 du tabac, sans que personne s’émeuve. Un virus nouveau chaque année (comme le beaujolais) qui tuerait, disons 30.000 personnes, deviendrait-il une fatalité acceptable ou même médicalement rentable ? Comme la voiture, le glyphosate, l’alcool ou la cigarette.

Mais le principe de précaution ou plus généralement de gestion du risque, ne s’applique pas aux seules épidémies (SIDA, SRAS, H1N1, COVID et autres), car bien que exclues des polices d’assurance, les pandémies ont un caractère relativement récurent.

Le changement climatique et la perte de la biodiversité ont des échéances plus lointaines, qui dépassent les échéance électorales, celles des vies de nos hommes politiques, les nôtres même. Il est difficile d’imaginer des terres définitivement arides (un tiers des terres d’Espagne est déjà considéré comme aride), des océans morts, des fleuves taris, un air irrespirable et une humanité réduite à jouer les Mad Max. Actuellement cela ne se manifeste que par des catastrophes dites « naturelles » et à répétition : tsunamis, inondations, tornades, cyclones, incendies (en Russie, Amazonie, Australie, Californie).

Pourtant le risque climatique existe. Les calculs aussi : dès 2006 le rapport STERN alertait sur le coût de l’inaction climatique qui pourrait dépasser 5% du PIB mondial et jusqu’à 20% en y intégrant les pertes humaines et l’adaptation de toutes les sociétés y compris les plus démunies, au regard d’un coût prévention de 1% du PIB entre 2005 et 2020. Déjà trop tard.

Alors si notre pandémie de 2020 pouvait nous rendre la raison sur le climat de 2050 ce serait déjà cela de gagné. Sans compter les changements sociaux, économiques, et financiers nécessaires pour assurer à la planète une espérance de survie en bon état.

15 avril 2020